Réflexions sur l'art

Points de vue sur l’Art

1985-2015

  • Point de vue sur l'art

Voilà une sélection de quelques-uns de mes Points de vue sur l’Art, des réflexions d’atelier notées depuis 1985. Plutôt que de longs développements, c’est volontairement que j’ai cherché la concision du propos. J’espère que ces réflexions pourront être utiles au débat sur l’art contemporain, ainsi qu’à la reconstruction d’un véritable sens pour l’Art des prochaines décennies. 

 

Ce ne sont pas les écrivains qui écrivent le mieux. Ce sont 

les peintres ou les sculpteurs quand ils tiennent un carnet 

pour leur seul besoin : ils écrivent alors sans même s’apercevoir 

qu’ils écrivent, ne cherchant que la justesse avec la rapidité.

 

Christian Bobin

In Mozart et la pluie

 

 

10. On n’a pas encore bien compris – scientifiquement parlant – la force de l’intention dans la créativité de l’être humain, et tout ce qu’elle induit. Selon l’intention qui préside dans la pensée du peintre quand il peint, je suis convaincu que le résultat sera différent. Et cela même si, sur le plan formel, le tableau ressemble à ce qui était voulu par l’artiste. C’est l’effet qu’il aura sur les spectateurs qui ne sera pas le même.  (1990)

 

21. La Poésie n'est pas une forme de l'écriture. C'est un état créatif de l'âme. Ceux qui, cherchant à transmettre une émotion, passent par une forme — écriture, peinture, musique, cinéma... — et, dépassant le signe, qui ne signifie rien de plus que ce qu'il montre, arrivent à l'Image qui laisse percevoir de façon subliminale, derrière un dit un non-dit, derrière un visible un univers invisible, ceux-là font œuvre de Poésie. La Poésie est nécessairement une méta-physique, même pour celui qui — croyant ne pas croire — capte avec son "feeling", son radar de l'âme, une vérité plus subtile que la trop réductrice vérité de l'apparence. La boue noire du pétrole brut est une vérité, mais est-elle toute la vérité ? Quand, partant de cette boue noire, on obtient par purifications successives un distillat de pétrole puis une pure essence, a-t-on alors moins de vérité ou plus ? Nous voyons donc que le subtil est plus complet que le grossier et que la vérité de toute chose se dévoile facette par facette, strate par strate, du grossier vers le subtil, de l'apparent vers le caché, du visible vers l'invisible. Il en est de même de la Poésie qui est une attitude de l'âme à sentir plus complètement et plus subtilement, et qui, par son effet et son éclairage, aide à percevoir la beauté des choses, visibles mais cachées. La Poésie est une nourriture métabolisante pour l'être humain.  (7 août 1993)

 

22. Le principal n'est pas tant d'amasser une grande somme de données spirituelles, philosophiques, scientifiques et culturelles, mais d'avoir la capacité de multiplier les interconnexions entre ces données. Bien sûr ces interconnexions doivent être assimilées en pratique pour avoir un réel effet. Il y a probablement là quelque chose de semblable au fonctionnement du cerveau : certes, des milliards de neurones lui sont nécessaires, mais plus important encore sont les synapses – les connexions des neurones entres-eux – l'interaction des deux engendrant la puissance cérébrale.  (4 septembre 1993)

 

23. Je tente de parvenir à ce qu’une œuvre ait assez de force, assez de "miroir" en elle-même pour qu’après un instant, le spectateur, au lieu de simplement regarder l'œuvre pour elle-même, commence à s’interroger sur sa propre vie, sur ses propres questionnements, qu’ils soient psychique ou métaphysique. Tout mon travail artistique cherche à atteindre cela.  (Novembre 1993)

 

26. Sous l'influence des Grecs puis des Romains, l'Art était Violence et Beauté. Maintenant, il n'est que Violence. Tout a été "désacralisé" et les artistes ont pris plaisir à déstructurer et à rabaisser les choses et les êtres, puis à les anéantir, sans se rendre compte qu'en faisant cela, ils s'abaissaient et s'anéantissaient eux-mêmes. Les êtres humains sont, actuellement, tellement noyés dans la matérialité qu'ils ne voient plus que l'horreur, la guerre, les morts, les massacres, les souffrances. Oui, cela fait partie de la vie, mais ce n'est pas toute la vie !  (Mai 1994)

 

27. Puisque nous nous sommes rabaissés jusqu'à l'indignité, il n'est pas étonnant que nous soyons attirés par les déchets. L'art de la récupération se porte bien : une poubelle devient une merveille et sur le mur d’une galerie, quelques jerrycans cassés du Sahel deviennent une "œuvre". Mais valant de 20.000 à 60.000 Francs, ce qui est cher payé l'éboueur !  (Juin 1994)

 

30. Les artistes de notre époque sont désespérés du monde et d'eux-mêmes. Ils se sont précipités, non dans une impasse dont on peut ressortir, mais dans une nasse : on ne peut en sortir même en faisant marche arrière. Il faudrait casser le filet si tant est que cela soit possible ou, surtout, ne plus s'engouffrer dedans ! Arriverons-nous à trouver un véritable avenir pour l'art ? Cela dépend de nous de ne pas – mouton de Panurge – nous engouffrer sottement derrière nos aînés sans voir où cela mène. Comme dans le tableau de Bruegel, La parabole des aveugles, nous sommes comme le dernier de la file. Nous ne savons pas où nous allons, mais si nous ne quittons pas le rang, nous finirons dans le fossé comme le premier.  (Juin 1994)

 

32. En cette fin de siècle, toutes les recherches formelles ont été faites, toutes les portes de la Forme ont été ouvertes. Continuer à travailler uniquement sur ces problèmes m'intéresse peu. Maintenant, c'est sur la "révolution" du Fond qu'il nous faut avancer, et c'est ce à quoi je me suis engagé depuis une dizaine d'années. Après l'époque "destroy" qui avait envahi les pensées – et peut-être fallait-il en passer par là – c'est à la reconstruction qu'il faut s'atteler. La reconstruction d'un sens pour l'Art, c'est-à-dire d'un art qui ait vraiment quelque chose de profond et de régénérateur à transmettre. L'Art est comateux, il faut d'urgence le réanimer. Au sens vrai du terme : lui redonner une âme.  (Juin 1994)

 

33. Nous avions travaillé sur le fond. Mais ce fond, touchant au politique, au sociologique, au psychique, au psychanalytique, est toujours, pour moi, un fond "matériel". Nous avons constamment dénoncé ce qui nous semblait ne pas aller dans le monde et chez les autres. Rarement en nous-mêmes. Et c'est cette dénonciation qui a amené ce mouvement de destruction. Nous avons dénoncé les guerres, au Vietnam, au Liban, toujours ailleurs, alors qu'en nous-mêmes, en nos propres pulsions, c'est "Sarajevo" tous les jours ! Il ne coûte pas grand chose de dire "à bas la guerre Ailleurs". C'est autre chose de l'arrêter en nous. Et c'est cette implication qui coûtera forcément aux artistes s'ils veulent donner à l'Art son sens vrai, profond, subtil, complet. Quand, en 1969, j'ai peint Hiroshima-La Mort, travaillant sur le signifiant et le signifié, mon intention avait un sens. Mais c'était toujours ce sens "matériel", psychique, de dénonciation des horreurs du monde. Dénoncer ce qui ne va pas ne construit en rien ce que nous avons comme idéal. Ce n'en est, au maximum, que la première étape. Reconstruire un sens pour l'Art, voilà une tâche encore plus difficile et certainement que des dizaines d'années passeront avant que nous n'y arrivions. Voilà, pour moi, le vrai défi du siècle à venir.  (Juin 1994) 

 

34. Tant que nous nous contentions de bouleverser la forme, cela ne portait pas à conséquence pour l'artiste car cela ne l'engage pas vraiment lui-même. Par contre, si nous voulons ré-élaborer un sens pour l'art, ce sera ardu car nous ne pourrons faire l'économie d'une transformation personnelle profonde, difficile. Il nous faut changer notre système de pensée, et à la suite notre comportement, pour que notre vision du monde change. Je ne vois aucune autre possibilité : pour réanimer l'Art, nous devrons nous réanimer nous-mêmes.  (Juin 1994)

 

37. L'œuvre artistique doit être un miroir. Elle doit aider, par l'intermédiaire de l'émotion intérieure, l'être humain à revenir vers lui-même, réactivant le questionnement. De questions en questions jusqu'à la Question : quel est le mystère de ce "je" qui se pense ?  (Juin 1994)

 

39. "Destroy" - Détruire. Cela n'a pas été facile et 150 ans ont été nécessaires pour que les artistes acquièrent une réelle liberté d'expression picturale. Je ne dis donc pas que se libérer de "l'ancien" ait été facile. Seulement, depuis une cinquantaine d'années, tout ce qu'on a pu voir reste essentiellement une "révolution" de la forme et je ne vois nulle part l'émergence d'un authentique mouvement pour repenser l'Art.  (Juillet 1994)

 

40. Nous ne voyons pas le monde tel qu'il est, nous le voyons tel que nous sommes. L’œuvre d’un artiste nous dévoile son portrait intérieur.  (Octobre 1994)

 

43. Toute une partie de l'art des trente dernières années - à force de déconstruction et d'éthique de l'absurde, d'acharnement à déstructurer l'art et à lui donner le minimum de signification se meurt d'asémantique.  (Février 1995)

 

44. Si Dada est l'absurde érigé en éthique, je suis anti-Dada et revendique une éthique du "sens profond" et de "l'intelligence", c'est-à-dire l'émergence de la Raison transcendante.  (Février 1995)

 

54. Un tableau n'est pas réductible à des traits, des formes et des couleurs. Il est bien au-delà de la somme des parties. Et c'est cela le mystère sublime de l'Art.  (1999)

 

57. L'Art contribue, de façon subliminale, à transformer l'être humain.  (2001) 

 

59. Dans son livre La chambre claire, note sur la photographie, Roland Barthes dit : “Au fond la photographie est subversive, non lorsqu’elle effraie, révulse ou même stigmatise, mais lorsqu’elle est pensive.” Je trouve ce point de vue très pertinent autant pour la photographie que pour l’art en général et j’ai le sentiment que cela s’applique très bien à l’intention de mes recherches. (octobre 2006)

 

63. Dans mes courts métrages vidéo je ne raconte pas une histoire, j’enfile perle à perle des émotions.  (janvier 2007)

 

68. Une de mes recherches : obtenir la plus forte efficacité émotionnelle avec la plus grande simplicité de moyens.  (juillet 2007)

 

74. De même qu’Einstein à unifier énergie et matière en montrant qu’elles sont deux faces d’une même réalité, je reste persuadé qu’il en est de même pour l’Art, la Science et la Philosophie. Ces trois merveilles de la connaissance humaine sont trois facettes du même diamant.  (7 décembre 2007)

 

77. J’entends certains créatifs, artistes plasticiens, cinéastes, écrivains, dire qu’ils font des œuvres extrêmement violentes pour dénoncer la violence présente dans nos sociétés. Il me semble que la meilleure dénonciation d'une chose c'est l'exaltation de son contraire. Quant on a été mordu par un serpent venimeux et que du venin a été inoculé dans notre corps, on ne s’injecte pas une autre dose de venin mais un antidote. À mon point de vue l’antidote au venin de la violence, de la dureté de cœur et de la haine c’est d’inoculer dans la pensée des gens – via l’art – cette haute et noble émotion qu’est la tendresse. La tendresse, c’est la pointe fine de l’amour, ce par quoi l’amour dépasse l’animalité pour atteindre l’humanité. Il n’y a qu’à voir combien de millions de femmes se plaignent, dans leurs rapports amoureux, du manque de tendresse des hommes pour être convaincu que c’est bien ce manque qui pose problème depuis toujours, et encore actuellement.  (27 février 2008)

 

81. L’idéologie culturelle actuelle aime – je dirais même encense – les œuvres "décalées", "impertinentes", "provocatrices". Ces mots reviennent sans cesse dans les critiques des médias, avec une évidente connotation positive. Mais à mon sens, c’est extrêmement conjoncturel, comme une mode, un snobisme, une réaction adulescente, un reliquat de l’onde de choc de Mai 68. À cette époque là, nous avons été provocateur et impertinent, mais quarante ans plus tard cela me semble absolument ridicule, une vieille arrière-garde qui voudrait se faire passer pour une avant-garde ! Nous nous en rendrons compte plus tard, quand nous serons débarrassé des scories de la vieille "Modernité".  (15 mai 2008)

 

82. Les artistes contemporains institutionnels ont tout désacralisé, mais le tour de force c’est que rien n’est devenu plus sacré que l’idéologie qui sous-tend cet "art". Malheur à qui le critique durement, il sera aussitôt rejeté avec mépris dans l’horrible case des "réactionnaires" ! Le merveilleux paradoxe, pour moi, c’est que cet art est fortement soutenu par des personnes qui se disent "de gauche" mais qu’il est incroyablement rejeté par la masse du peuple ! En réalité, ce qui est promu dans nos musées et galeries depuis tant d’années n’est pas "l’art contemporain", mais un aspect de l’art contemporain. Le tour de force totalitaire c’est d’avoir réussi à faire croire que c’était tout l’art contemporain. Que lorsque l’on dit « art contemporain » il n’y a qu’eux et personne d’autre. Cette intelligensia, composée de quelques artistes, critiques d’art et journalistes spécialisés, de quelques galeristes, directeurs de musées et centres d’art, de quelques collectionneurs et mécènes, ne forme qu’une très petite minorité de gens, probablement pas plus de mille ou deux mille personnes en France, dix mille dans l’ensemble des pays industrialisés. Une goutte d’eau. Mais ils sont aux postes stratégiques du pouvoir. Et surtout des pouvoirs financiers et idéologiques. Tout cela n’a plus rien à voir avec l’Art.  (juin 2008)

 

83. Ce n’est pas à moi à me mettre à l’heure de cette société, c’est à elle de se mettre à l’heure de l’artiste. L’artiste est un leader, non un suiveur. Je ne cours pas derrière les tendances de la société. Ce que l’on ne comprend pas dans mon travail, peut-être le comprendra-t-on dans 70 ans… (26 janvier 2009)

 

84. Combien de films emplis de personnages et vide d’humanité. Chez moi, l’inverse : nul besoin d’y voir des personnes, l’humanité à saturation, partout. (26 janvier 2009)

 

85. Dissident de l’art contemporain depuis les années 1980, j’ai eu le plaisir de me rendre compte que je n'étais pas le seul avec ces points de vue quand j’ai lu, en 2008, L’art caché d'Aude de Kerros. Quel que soit le temps qu’il faudra, 20 ans, 50 ans, ou plus, l’Art finira par ensevelir intellos, psychopathes et financiers. D’eux on ne parlera plus dans 100 ans, mais de la beauté et de l’Art on en parlera toujours. Soyons convaincu qu’à l’échelle du temps l’AC est un épiphénomène. (28 janvier 2009)

 

86. J’ai pratiqué l’humour au second degré, j’ai pratiqué la provocation. Je l’ai fais à 20 ans, dans les années 68. Maintenant je me rend compte qu’une chose simple comme la vérité était vraiment révolutionnaire et c’est ce à quoi j’essaie de m’atteler : un art de la vérité. J’entends déjà certains de nos philosophes me dire, dubitatifs, que la vérité n’existe pas. Pensez comme vous voulez, mais je sais que la loi des contraires mène le monde et que si l’on y trouve le faux, le vrai doit y être nécessairement. Ils rétorquent « tout est relatif », sans se rendre compte que si le relatif existe, selon la même loi, l’absolu existe nécessairement.  (2 mai 2009)

 

87. Il y a une grande différence entre savoir que la perfection est un idéal que l’on ne peux atteindre et ne pas la rechercher. Aucun artiste, d’aucun art, ne peut se passer de chercher la perfection dans son art. La perfection de la forme autant que du fond. Tous ceux qui considèrent ces notions comme désuettes à notre époque se rendront compte que c’est leur travail qui deviendra vite désuet. (22 août 2009)

 

88. Je suis rebelle à tous les dogmes, y compris ceux d'une esthétique contemporaine officielle qui imposent une inscription dans le politique comme un nouvel académisme. Mon travail s’inscrit dans une conception poétique d’un art en recherche de vérité. D’accord en cela avec le propos de Man Ray quand il dit : "Il n’y a pas plus subversif que la vérité" ou avec Giacometti disant : "L’art m’intéresse beaucoup, mais la vérité m’intéresse infiniment plus…"   (22 octobre 2009)

 

89. J’ai marché dans le noir du monde muni de la lampe-torche de mon âme sur mon front. J’en ai éclairé quelques détails : ce que j’ai peins et dessiné.  (7 janvier 2010)

 

90. L’effet d’un tableau sur des spectateurs dépend de l’artiste qui le peint et de la réceptivité de celui ou celle qui le reçoit. S’ils sont en phase, il y aura transfert d’émotion.  (13 mars 2010)

 

91. Paraphrasant Laurent Terzieff parlant du théatre à la "Nuit des Molières", je dirais que je me bat pour un art contemporain qui se situe "entre l'imposture intellectuelle et la facilité". (25 avril 2010)

 

92. Les textes critiques du pseudo art contemporain (je parle de l’AC tel que le définisse les dissidents de l’art contemporain) ont l’art de faire passer des œuvres simplistes pour des œuvres complexes par la complication pseudo-intellectuelle de leurs propos. C’est compliqué à comprendre mais le compliqué de ces intellectuels n’a rien à voir avec la vraie complexité qui est la profondeur du sens allant vers le vrai. (mai 2010)

 

93. La peinture, le dessin, l’art, sont des moyens de connaissance de soi, et, par là, de connaissance du monde. Si cet art me sert et me mène à la connaissance de la vérité du monde, c’est formidable, mais s’il ne me sert qu’à la recherche de ma propre gloire, mieux valut que je n’eus pas ce talent.  (8 mai 2010)

 

94. Marcel Duchamp aurait dit que "ce sont les regardeurs qui font le tableau." Cela ne me semble pas tout à fait exact. L’artiste, en faisant le tableau lui donne la moitié de la vie et en retire un bénéfice propre. Au regardeur l’autre moitié de vie. Et de bénéfice. L’art est une interaction entre celui qui le produit – peintre, musicien, poète… – et les amateurs qui en bénéficient. Encore faut-il savoir de quel regard on parle ! La force du bénéfice sera proportionnelle à la profondeur du regard, je dirais, à la profondeur du regard d’âme. Avec un regard superficiel sur les choses, on ne tire aucun bénéfice de rien ! Ni de la peinture, ni d’ailleurs du reste du monde...  (6 juin 2010)

 

95. L’Art est une mère qui me nourrit, une amante qui me console, une amie qui m’écoute. Je peux rester seul longtemps, je ne me sens jamais seul.  (16 septembre 2010)

 

96. Dans mes dessins j’évite le moindre maniérisme. Je pense qu’il faut que chaque trait de dessin soit saturé d’énergie, et qu’entre les différents traits d’un dessin on perçoive un rythme et une danse. Pour insuffler cela à un trait de crayon, pour que cela devienne apparent, il est nécessaire que ces trois états – énergie, rythme et danse – soient assimilés en nous. Ce n’est pas uniquement un problème technique, c’est en vivant à l’intérieur de nous que ces éléments vitaux deviendront manifeste. Pour faire un grand dessin, ces choses sont nécessaires mais, hélas, non suffisante. Après, c’est le grand mystère de l'Art...  (22 septembre 2010)

 

97. Voici trois tristes dogmes de notre époque : tout artiste doit être inscrit dans le politique, toute femme dans la séduction, tout journaliste-chroniqueur dans l'impertinence. Notre pauvre époque qui se croit à l'avant-garde !  (7 février 2011)

 

98. Blaise Cendrars a écrit : "Quand j’écris, je ne trempe pas ma plume dans un encrier, mais dans la vie." Je me permettrais de dire avec lui : quand je peins, je ne trempe pas mon pinceau dans la peinture, mais dans la vie. Mais dans quelle vie ? Pas la vie matérielle de tous les jours. Mais dans la vie intense et vraie qui sommeille au profond de tous les humains.  (6 avril 2011)

 

99. D’aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours lutté contre tous les académismes en art. À 16 ans contre l'académisme bourgeois du XIXe siècle, à 18 ans, en entrant aux Beaux-Arts de Paris, contre l'académisme moderne des années 60, qui imposait d’être dans l’abstraction de «l’Ecole de Paris». Et depuis les années 80, contre le nouvel académisme de l'art contemporain ministériel, étatique et financier, qu'il soit français ou international. Je ne me suis jamais soumis au diktat esthétique de l'époque. Aujourd'hui encore, je refuse de me soumettre à un art officiel malade de non-sens, gangrené par l'argent et métastasé par quelques artistes psychopathes qui déversent leur mal-être sur les autres comme une vengeance. Les spectateurs fuient un ‘art’ qui n'en a plus que le nom. Dissident j'étais à vingt ans, dissident je reste à soixante. (7 avril 2011)

 

100. L’artiste doit voir le monde autrement, mais les spectateurs aussi doivent voir les œuvres autrement. Ce n’est que lorsque l’interaction est complète que le choc émotionnel est le plus fort, c’est-à-dire que l’œuvre bouleverse la vie du spectateur, ébranle son âme. (mai 2011)

 

101. J’entends un artiste dire à la radio qu'il fait un art populaire. Moi, je ne cherche à faire ni un art populaire ni un art élitiste, ni un art pour les pauvres, ni un art pour les riches. J'aspire à proposer un art fondé sur une éthique universelle pour toucher au profond de tous les humains et de toutes les époques. (5 juin 2011)

 

102. Colette Fellous, dans son dernier livre [Un amour de frère, Gallimard 2011] écrit : «Les mots sont toujours faits pour en cacher d'autres / Le sens d'un poème est à la fois ouvert, mobile, transparent, et complètement secret, à jamais secret. C’est là que résident sa beauté et sa force. On ne doit pas chercher d'explication, ce serait tuer le poème. Il y a autant de mots cachés que de mots écrits. Plus la langue est simple, plus elle est vaste.» C’est exactement ce que je pense et ce que j’essaye de faire. Une simplicité de forme au service d'une profondeur de sens. Puis, de même que je peins souvent en glacis – en multiples couches transparentes superposées – chaque couche tout à la fois masquant et mettant en valeur la précédente, j’enfouis dans mon travail artistique, en filigrane, en palimpseste, des secrets. Ce qui compte pour les spectateurs, ce n’est pas de les connaître, mais qu’ils en ressentent les effets induits. (10 octobre 2011)

 

104. Certains galeristes me reprochent une trop grande créativité formelle qui empêcherait de reconnaitre facilement mon travail, et qui ferait que, finalement, je n’ai pas de style. Il faut dire que tellement d’artistes contemporains ont passé leur vie à faire toujours la même chose – je me refuse à citer des noms – que l’on pourrait comprendre cette critique tant notre regard sur l’art s’y est habitué. Concernant mes recherches artistiques, je n’ai jamais mis la forme au premier plan, mais toujours le fond. Et si j’ai une originalité qui me démarque de beaucoup de mes contemporains et bien, tant mieux ! C’est parce que je n’ai, vis à vis de la forme, aucune inhibition ! Je me sens entièrement libre de m’exprimer. Et tant mieux si je me renouvelle, cela me semble être le signe d’un vrai créatif. Dans un de mes "Points de vue sur l’Art", j’écrivais déjà, en 1994, que ma peinture essaye de "rendre compte de visions, sensations et émotions plus subtiles, plus profondes, plus complètes. Cela sans jamais me polariser sur des problèmes de "forme" mais en cherchant – et en assujettissant – la forme qui me semble la plus adéquate à l'émotion recherchée." Il me semble quand même paradoxal que l’on trouve génial Picasso parce qu’il manifestait une capacité à se renouveller et que des ‘professionnels de l'art’ puisse me le reprocher ! Je crois surtout que c’est la mentalité qui a changée. Nous vivons une époque de désorientation intellectuelle où l’on prends trop souvent les moyens pour le but, le faux pour le vrai et la médiatisation pour le talent.  (21 février 2012)

 

105. Après plus de 45 ans de pratique du dessin et de la peinture mes yeux sont devenus tellement sensibles, subtils, qu’ils ne voient pas le monde – les formes et les couleurs – comme le reste des gens. De la même façon, j’ai une vision du monde – de l'univers – qui comprend d’autres valeurs que celles de la plupart des gens. Cette société me semble tellement portée au superficiel alors que l'univers est tellement grandiose de complexité et de profondeur !  (2 avril 2012)

 

106. Un artiste véritable ne cherche ni à plaire, ni à être à la mode. Il fait son œuvre avec son âme et ses tripes, et doit attendre patiemment que le temps passe pour savoir si ce qu'il a accompli est une œuvre forte. (20 mai 2013)

 

107. Ceux qui disent : « je ne cherche pas, je trouve » manifestent une prétention qui est dû à leur ignorance. Nous, artistes, sommes les chercheurs d'un art de la vérité, mais le peu que nous trouvons nous est, en grande partie, offert. L'inspiration nous est offerte. Et si nous pensons que nous avons trouvé par nous-mêmes, alors nous ne sommes plus dans le vrai. La vérité ne se découvre que dans l'humilité.  (24 juin 2013)

 

108. En regardant le film de Wim Wenders sur Pina Bausch, je me suis dit : "Pauvres humains, comme nous nous contorsionnons de douleur parce que nous ne comprenons pas, et ne trouvons pas, notre vraie raison d'être dans ce monde !"  (27 juin 2013)

 

109. L’œuvre d'un artiste, si c'est un artiste vrai, c'est d'abord pour lui-même qu'il la crée. Le peintre en peignant, l'écrivain en écrivant, le cinéaste en filmant, le poète en chantant, tous se cherchent éperdument. Les artistes, avec leur œuvres, se parlent à eux-mêmes, apprennent à se connaître, et se soigne lentement de leurs pathologies propres. C'est une sorte d'automédication spirituelle puisque cela touche à la connaissance d'eux-même.  (7 octobre 2013)

 

110. Costa-Gavras, parlant sur France 2, dit qu'il existe une production cinématographique qui veut aller vers le public, mais qu'il faut aussi que le cinéma d'auteur créer des films qui emmène le public vers le cinéma, c'est-à-dire ne pas faire un produit mais une œuvre, de l'Art. Je pense exactement la même chose concernant la peinture et le dessin. Dès que le système financier se mêle d'art, on trouvera toujours des produits. Et nous, nous devons continuer à essayer de créer des œuvres.  (24 novembre 2013)

 

111. J’ai appliqué une mise en équilibre des contraires, une vision matérielle et spirituelle unifiée, un traité fait de force et de douceur, peaufinant les contrastes de couleurs, de valeurs, de formes, de rythmes, d'émotions…  (16 mars 2014)

 

112. Ce serait intéressant si on pouvait voir la différence entre les ciels et les mers que je regarde attentivement pour en garder l'empreinte, et ce que je restitue sur la toile de mémoire bien après. Cela n'a plus rien à voir. Ce qui m'intéresse formellement dans ces paysages intérieurs ce sont les rapports de contrastes : ténèbre et lumière, douceur et force, plein et vide, achevé et inachevé... Je met en scène une dramaturgie des contraires.  (17 avril 2014)

 

113. Je ne peins pas en regardant des paysages. J'invente des espaces de lumière. Et comme on ne peut comprendre une chose que par son contraire, il faut bien que je chorégraphie la danse entre ténèbre et lumière.  (23 janvier 2015)

 

114. Les gens prennent des photos avec un Smartphone mais ne sont pas des photographes. Ils écrivent des SMS mais ne sont pas des écrivains. De même des milliers de gens pratiquent la peinture en amateur mais ne sont pas pour autant des artistes peintres. Car ils ne font pas un acte conscient et volontaire de recherche picturale.  (26 janvier 2015)

 

115. Comme un puzzle qui apparaît pièce après pièce, nos différents travaux artistiques s'assemblent sans que nous nous en rendions compte. Ce n'est qu'après de longues années que l'artiste découvre, le premier étonné, qu'il a bâti une œuvre.  (8 février 2015)

 

116. Un artiste célèbre a dit ”je ne cherche pas, je trouve.” Cela me semble prétentieux et absurde car personne, dans aucune science, ne trouve quelque chose sans recherches. C’est la loi de causalité qui impose cela. Un artiste authentique est nécessairement un chercheur. En ce qui me concerne j’ai passé ma vie à chercher et, Dieu merci, à trouver.  (14 août 2015)

 

 

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